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Du sang et des larmes. Ce jeudi 7 octobre, pour le deuxième jour consécutif, les rescapés du Bataclan viennent raconter leurs nuits. Leur nuit du 13 novembre, bien sûr, mais toutes ces nuits qui ont suivi. Les nuits à l’hôpital. Les nuits au bloc. Les nuits de cauchemar qui s’empilent… Comment raconter autant de souffrances en quelques minutes ?

La langue française manque de mot pour dire pleurer. Ceux qui défilent à la barre du procès du 13-Novembre pleurent. Mais de tant et tant de façons que dire qu’ils pleurent tous est vrai et faux à la fois. Chacun pleure à sa façon. Il faudrait un autre verbe pour décrire les larmes sèches d’un Pierre-Sylvain, les pauses dans la voix d’un Thibaut, les vagues d’eau qui déferlent dans les yeux d’une Anne-Laure, la voix étranglée d’une Gaëlle, l’émotion douce d’une Amandine… Il y a tant de façons de pleurer. Par les yeux, bien sûr, qui chavirent toujours en arrière ou sur le côté avant de s’embuer. Par la voix surtout, quand elle s’éraille, dérape, s’étrangle, dévie, comme un torrent de montagne qui charrie son trop-plein d'émotions.

Pierre-Sylvain apparaît en gros plan sur l’écran géant de la salle d’audience. Il a 54 ans, une veste sombre. Des bagues de rocker aux doigts. Un visage sur lequel ne saute aux yeux aucune cicatrice. « C’était la journée de la gentillesse », commence-t-il en souriant. Ce soir du 13 novembre 2015, il sort avec sa compagne Hélène. Hélène aurait dû se rendre au Bataclan avec une amie qui s’est décommandée. Le couple entre dans la salle, et se trouve devant le bar. À l’instant zéro de l’attaque, dans ces minutes où tout bascule, Pierre-Sylvain a de la chance. De son service militaire, il se souvient du bruit des balles, et de l’odeur de la poudre, « une odeur âcre, de silex mouillé ». Il n’hésite pas une seconde, ce qui va leur sauver la vie, et plaque Hélène au sol sur-le-champ. Les balles sifflent au-dessus de leurs têtes. Puis ils rampent vers le carré des ingénieurs du son, au bout de la fosse. De là, Pierre-Sylvain a une vision parfaite, à quelques mètres à peine, des trois terroristes. « Ils sont trois, l’un d’eux est expérimenté, il décoincera une arme enrayée ». Il aperçoit celui du milieu se retourner vers le bar pour aller approvisionner en chargeur les deux autres. « J’ai vu qu’ils prenaient plaisir à tuer avec un certain sadisme. »

« Elle n’avait plus de pommette, juste un trou. Elle m’a demandé si c’était grave, j’ai menti, j’ai dit que non. »

Quand les premières rafales se calment un peu, un spectateur se lève. « Pourquoi vous faites ça ? », lance-t-il en direction des trois assaillants. Un terroriste demande à l’inconnu « ce qu’il veut » et tire. Le spectateur s’effondre. Pierre Sylvain réalise avec lucidité ce qui va se passer : « Jusque-là, ils tiraient à l’épaule, ou au niveau de la taille, mais j’ai vu le tireur de droite se mettre à tirer vers le sol. Méthodique. J’ai compris qu’ils exécutaient les gens à terre… » Le terroriste s’approche d’Hélène et lui. Et tire. Une balle passe au-dessus du nez de Pierre Sylvain, puis lui transperce la joue droite. Une autre balle traverse la tempe d’Hélène, et ressort par son œil et son nez. « Elle n’avait plus de pommette, juste un trou. Elle m’a demandé si c’était grave, j’ai menti, j’ai dit que non. » Tous les deux, miraculés, font les morts. Comme Amandine, à quelques mètres d’eux, dans la fosse, qui viendra raconter ces trois heures à attendre dans « un marécage de sang ». Comme Gaëlle, touchée au visage et au bras, qui elle aussi ne parvient pas à bouger, coincée dans son corps immobile…

 

 

« Un récit collectif »

Pierre-Sylvain aperçoit une tête se faufiler dans la porte d’entrée. Il comprend qu’il faut partir. Coûte que coûte. Il se lève, prend Hélène sous le bras. « Avec l’adrénaline, elle ne pesait que 3 kg ». Et file de l’enfer. « L’enfer est vide et tous les démons sont ici », dit aussi Amandine citant Shakespeare. Pierre-Sylvain, raconte la suite de sa nuit. Il se souvient de la « jeunesse » des jeunes pompiers tremblants. Leur manque de matériel médical. Les « pansements américains » qu’ils improvisent. Il décrit l’arrivée lunaire dans un gymnase de regroupement. « Ils attendaient des motards qui n’arrivaient pas pour escorter le convoi jusqu’à l’hôpital. Quelqu’un a pris sur lui de partir sans les motards. Je crois que jusqu’à l’hôpital Percy, le chauffeur n’a pas utilisé son frein ». Pierre-Sylvain raconte ses opérations. Mais surtout celles d’Hélène. Quatorze au total. Son visage reconstruit autour de son œil perdu. « Elle est dans la salle dit-il en se retournant avec un sourire de tendresse. Aujourd’hui, Hélène a retrouvé un visage qu’elle peut montrer, même si ce n’est pas son visage d’origine. Voilà où on en est », poursuit-il. Pourquoi a-t-il décidé de venir témoigner ? Pierre-Sylvain admet s’être longtemps posé la question. « Grâce à ce procès dit-il, tout cela devient un récit collectif. Ce récit devient notre patrimoine commun ». Il a parlé sans haine dans la voix, et sans jamais se tourner vers sa gauche en direction du box. « Je ne leur pardonnerai jamais, mais aucune considération religieuse ou géopolitique n’a quelque chose à faire ici », lâche Pierre-Sylvain avant de quitter la barre.

Une « maman toute cabossée »

Après lui, Gaëlle, 40 ans, a subi 40 opérations depuis la nuit du 13 novembre. Élégante dans un chemisier blanc, merveilleuse dans un sourire un peu triste, Gaëlle a perdu son compagnon Mathieu, 37 ans, dans l’entrée du Bataclan. « Le fils de Mathieu, 9 ans, est là, dans la salle, avec sa maman », commence Gaëlle, dont le fils est là, lui aussi. Elle a la voix si douce Gaëlle, si bouleversante. Elle n’arrive pas à éprouver de haine. Ce qu’elle espère, c’est la « fierté » de son fils, de sa « maman toute cabossée ».

 

Cette nuit du Bataclan, une balle voisine de celle qui a tué son ami transperce sa joue, fracasse sa mâchoire. Un morceau de chair dégouline dans son cou. Gaëlle raconte elle aussi les heures d’attente dans une antichambre entre la vie et la mort. Elle parle du « marécage de sang ». De l’odeur de la poudre. Allongée au milieu de corps emmêlés, elle voit son fils en hallucination lui dire « maman faut que tu sortes ». Elle se souvient de deux policiers qui l’ont sorti de là. Du « Oh mon dieu » lancé par quelqu’un à l’hôpital devant son visage troué, de « gueule cassée » lui dira un médecin, en allusion aux soldats défigurés de la guerre de 14. Elle est tellement amochée que cette nuit-là, un des chirurgiens qui l’opère, un ami d’enfance, ne la reconnaîtra même pas… Depuis, les médecins ont pris son péroné pour lui façonner une mâchoire. Gaëlle raconte son corps rabouté, son corps puzzle, son corps patchwork avec une pudeur qui force le respect. Elle raconte ses mois sans pouvoir mâcher. Ses mois sans pouvoir marcher. Ses mois à tout réapprendre. « Aujourd’hui, on m’a redonné figure humaine », dit-elle, d'une voix qui transperce les cœurs dans cette salle d’audience muette de respect. Peut-être aussi d’admiration devant tant de courage.

« Les téléphones se sont mis à sonner et les terroristes visaient ceux qui décrochaient »

C'est au tour d'Amandine, dans sa robe à fleurs, avec son sourire gentil, de faire trembler la salle. Dans la fosse du Bataclan, elle « voit d’abord tomber des gens comme des dominos, et comprend que ces spectres sont là pour nous tuer ». Une balle lui explose la jambe droite. Amandine tombe dans « une mare de sang chaud… » Elle aussi raconte ces heures passées dans un espace-temps qui n’est plus celui de la vie et pas tout à fait celui de la mort, dans une ambiance de « cris d’agonie ». « Les téléphones se sont mis à sonner et les terroristes visaient ceux qui dérochaient » Amandine essaye d’étouffer le sien qui vibre dans son sac. Elle hésite à laisser un message à ses parents, s’excuse dans sa tête, par avance, du mal qu’elle va leur faire en mourant ici. Elle s’excuse tout le temps, Amandine. Elle imagine ses funérailles, la musique que choisiront ses amis. Elle se demande si son appartement est bien rangé quand ses parents devront le vider. Elle entend une explosion. Pense que tout le théâtre va sauter. Et elle voit voler des plumes sous la lumière blanche crue du Bataclan… Elle trouve l’image belle. « C’étaient les plumes de la doudoune du terroriste qui venait de se faire sauter », dit-elle dans un sourire. Sous elle, une femme pleure. Les minutes défilent, dantesques.

Amandine et son « sauveur »

Amandine a ceci de bouleversant qu’elle ne donne jamais l’impression d’en rajouter. Elle crie « je suis vivante » quand elle réalise que les nouvelles silhouettes qu’elle aperçoit sont des policiers. Le commissaire de la BAC s’approche d’elle, et lui propose de la sortir de là. « Il m’a tiré par un bras, ma jambe traînait, j’avais l’impression que j’allais perdre mon pied ». Amandine se retrouve sur une chaise. « C’est là que celui que j’appelle "mon sauveur" est venu me chercher ». « Il a arrêté un camion de pompiers qui était plein et il a dit au chauffeur "tu la prends" ». À l’intérieur, Amandine est la blessée la plus grave. Elle aussi raconte le bloc, l’hôpital, les opérations. Elle raconte ce jour, en rentrant chez elle, où « pour la première fois », elle s’est écroulée… parce que dans cet appartement qui était le sien, elle a réalisé tout ce qu’elle ne pourrait plus faire comme avant. Amandine tente « de transformer cette épreuve en force ». Elle lutte contre « cette culpabilité » qui la tenaille elle aussi. Cette culpabilité des survivants face aux morts…. Elle remercie, remercie, remercie. Elle remercie surtout son « sauveur ». Le policier l’a retrouvé à l’hôpital, au bout de trois jours, et aujourd’hui, ils sont amis. « Il m’a retirée de ce tombeau », conclut-elle.

Les témoignages défilent. Il y a ceux qui s’en sont sortis sans une égratignure, mais dont les vies d’avant sont restées au Bataclan pour toujours. Il y a ces parents qui viennent parler de leur fils mort sous les balles. Il y a ce jeune homme digne dont la compagne est partie sous ses yeux. Il y a cet homme qui dit à sa femme, mortellement blessée à la tête, qu’il l’aime. Dans tous ces témoignages, il y a le souvenir des cris, du bruit des balles et de la mort. Ils sont tous traversés d’une émotion foudroyante. Indépendamment des blessures physiques, on devine ceux qui semblent s’éloigner chaque jour un peu plus de cette nuit de chagrin, et ceux qui paraissent errer encore dans le labyrinthe infernal de cette nuit de malheurs.

Source

L'ennemi c'est l'islam

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Tag(s) : #secte, #religion, #islam, #islamisme, #intégriste, #attentats
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